Ce soir c’est mistral, ciel bleu dur comme l’eau d’un lac profond, jour pourpre déclinant, bourgeons vert tendre agités par l’ami qui assèche, éloigne les maladies, galets roulés ocre luisant
sur le plateau royal de La Crau, grande scène où se joue le concerto pour clairette, grenache blanc, roussanne, bourboulenc et 7 petits rangs de picpoul. À la baguette, ils ne sont pas trop de trois pour diriger cet orchestre végétal et interpréter tous les jours la partition minérale qui accueille ces instruments anciens. Manon et Nicolas Brunier sont les enfants de Frédéric, Édouard est le fils de Daniel. Les deux frères ont longtemps porté le destin du Vieux Télégraphe, domaine mondialement connu de Châteauneuf. Depuis un an, c’est le trio de cousins qui joue le grand œuvre, les deux paternels sont désormais les conseillers spéciaux et rapprochés des jeunes.
Le plateau de La Crau, c’est un sol fascinant, un mulch de pavasses roulées jadis par le Rhône, dessous c’est du sable et des galets mélangés, puis une atmosphère sablo-limoneuse et des galets encore et puis un horizon d’argile rouge, aussi des galets et à nouveau de l’argile et des gros galets. Ça, c’est le principe minéral, le milieu dans lequel plongent les racines des vieilles vignes de blanc, 70 ans de moyenne, un siècle pour les clairettes. Le génie de cette terre, c’est la pulsation hydrique qui étanche la soif de la vigne quand elle en a besoin. Aux Pins, sur une inclinaison douce du plateau, de la roussanne et du picpoul plantés plein sud sur des marnes, les premiers à être vendangés. Au-dessus, la parcelle des Chênes, sur la fin de colluvions posées sur une dalle d’argile, du bourboulenc, moitié en gobelet, moitié palissée. Au plein plateau, sur des terrasses alluviales, des cailloux par milliasses, du sable et des argiles, les grenaches blancs de Galéan et, sur son plat, la clairette et le bourboulenc. Derrière-Est, à l’épicentre du plateau, en blanc depuis toujours, des clairettes de 1920, la diversité des massales et des clones de qualité, « l’important c’est la diversité », et puis voici Bérard, au flanc du couchant les clairettes sur des safres, juste à côté le plantier des blancs, les 4 cépages principaux en mémoire palissée ou gobelet, enfin Mousset, 20 ans de bourboulenc. Une rare diversité de climats dont les complants sont fournis par Bérillon, compositeur pépiniériste. L’ensemble des touches de ce clavier quand la main des hommes l’a parcouru, ça fait à peu près 7 hectares sur les 85 du domaine de Bédarrides.
Pour la maturité, le trio s’en remet au coup d’œil sur les baies, aux analyses itou. « Comme on est sur des vins d’assemblage, on goûte les jus comme des vins, pour une vision globale. On va chercher un équilibre. On est les premiers à vendanger dans les coins qui mûrissent tôt. On bénéficie de l’expérience des générations précédentes et des textes de mémoire du Vieux Télé- graphe, cette histoire de maturité est le résultat d’une observation constante de chaque personnage parcellaire, on s’adapte à leur vécu de l’année. Notre agriculture emprunte les itinéraires du bio, on se laisse une marge de manœuvre, on exerce une pro- phylaxie sur le végétal, par exemple on aère avec discernement tout en laissant de l’ombre fraîche au fruit, on sélectionne les tiges à l’ébourgeonnage et le climat salvateur fait le reste. »
Selon les années, on s’arrête quand il fait chaud, ça tombe bien, souvent le pressoir est plein, on en fait un seul par jour. En 2020, on fit un assemblage général à la récolte, en 2021 il fallut isoler 7 lots, élevés seuls pendant dix mois. Pas de protection SO2, « ce qui doit s’oxyder s’oxyde ». On débourbe à 13-14 °C et zou en cuve béton pour le début de fermentation alcoolique qui se poursuit en foudre de 30, 20 hectos, demi- muid et un peu de barrique. La malo se fait naturellement à 18 °C, « on y gagne en profondeur ». On cherche les amers nobles et on les trouve, « c’est pour ça qu’on fait ce blanc ». Fin, élégant, riche de l’énergie du terroir, c’est l’harmonie d’une composition florale, de fruits juteux, d’abricot, de pêche, de poire, l’âme minérale y glisse son aile d’ange. / JEAN-LUC BARDE
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C’est le miracle de la nature et l’œuvre des hommes, un sol pauvre, un dépouillement de pierres, un déferlement de galets roulés, un plateau ouvert aux quatre vents et la vision d’une famille, les Brunier, depuis plus d’un siècle et 6 générations. Sur le terroir de la Crau, royaume du grenache qui partage sa couronne avec quelques autres mais induit puissamment aux vins du Vieux Télégraphe leur charactère et leur âme, s’est écrit l’une des histoires les plus étonnantes de Châteauneuf-du-Pape. Reportage.
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[…] Dans ces vins se tient le génie du terroir de la Crau : folle énergie, fraîcheur, pureté sensuelle et ciselure gravée en taille douce. […]
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[…] La tour de Claude Chappe a éteint ses feux depuis longtemps. Les signaux lumineux, aujourd’hui ce sont les vins du Vieux Télégraphe qui les envoient au vaste monde, à tous ceux qui aiment les grands vins de beauté d’Henri, Hippolyte, Jules et les autres Brunier, fils de la Crau. […]
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